jeudi 31 mai 2012

La mort / W. B. Yeats



{Image égarée ici et là sur le net, notamment sur Tumblr ; photographe inconnu ; date possible : 1900.  Peut-être s'agit-il d'une photographie récente, retouchée... Impossible de le savoir. Cela m'exaspère toujours de ne pouvoir attribuer une oeuvre à son auteur. Effet très pervers d'internet où les informations circulent, orphelines et souvent déformées...}


***


Death


Nor dread nor hope attend
A dying animal;
A man awaits his end
Dreading and hoping all;
Many times he died,
Many times rose again.
A great man in his pride
Confronting murderous men
Casts derision upon
Supersession of breath;
He knows death to the bone --
Man has created death.

La mort

Ni la crainte ni l'espoir n'assistent
Un animal à l'agonie ;
Un homme, lui, attend sa fin
Redoutant et espérant tout  ;
Bien des fois il mourut,
Bien des fois il ressuscita.
Un grand homme nimbé de son orgueil,
Aux prises avec des meurtriers,
Considère avec dédain
Le souffle de la vie qui s'éteint ;
Il connaît la mort viscéralement —
L'homme a créé la mort.

Trad. C.-A. F.


***

Jean-Yves Masson traduit le dernier vers par : "La mort, il la connaît à fond".
Yves Bonnefoy — très respectable poète et traducteur — traduit toujours loin de l'original, en se réappropriant, en poète, ce qu'il traduit — ce qui peut être à la fois très injuste et légitime —, fait plus ou moins de même ("Il connaît la mort à fond"). Voici d'ailleurs la traduction intégrale de ce dernier :

C'est sans aucun doute une très bonne traduction ("to know to the bone" est une expression idiomatique, qui signifie une connaissance intime, entière, etc.), mais on perd, selon moi, l'idée de l'os, parce que Yeats, préfigure ici, très ironiquement, dans cette expression, l'image du squelette. Je choisis une traduction beaucoup moins heureuse sur le plan esthétique, plus simple, mais qui me paraît plus fidèle. "Viscéralement" renvoie à la fois à une connaissance profonde et intime, mais aussi aux viscères, à un aspect organique de l'homme (les tripes). Il y aurait d'autres solutions possibles avec la notion de moelle, contenu de l'os, et la substantifique moelle...

J'aimerais tant que l'animal n'ait aucune perception de sa mort prochaine et que la mort ne fût qu'un concept créé par et pour l'homme. Mais je ne le crois pas un instant. L'animal mourant va se cacher ; il pressent terriblement ce que, peut-être, il ne pense pas. Et c'est bien pire. 
 J'ai vu vaciller le regard de trop de frères animaux alors que la mort les cajolait déjà...